Notre Dieu, pour toute cette nouvelle année, nous te demandons seulement de nous garder étonnés, pour que nos yeux sachent s’allumer et briller comme ceux des chats dans la nuit, pour que nos mains sachent parler et qu’on nous devine vivants, même sans nous entendre, pour que rien ne redevienne en nous tassé ni flétri, affaissé ni atténué. Garde-nous étonnés afin que l’enfant et le gamin persistent en nous, quand bien même les années s’enroulent à l’entour de nos coeurs et de nos corps.
Garde-nous étonnés par tout ce qui survient et tout ce qui revient, afin que la poussière de la vie s’envole au clin d’oeil de notre humeur, et que la somnolence s’enfuie au commandement de notre attention. Si nous parlons, que nous demeurions étonnés par cela même qui sort de notre bouche, comme si nous ne le connaissions pas encore avant de l’avoir dit. Si nous écoutons, que nous devenions étonnés par cela même que nous entendons, comme si c’était la première fois que nous le percevions vraiment. Si nous souffrons, que nous restions étonnés, car toute douleur est une visite poignante et terrible. Si nous aimons, que nous entrions en étonnement, car il n’est d’amoureux qu’enchanté de ses surprises.
Oui notre Dieu, pour cette nouvelle année, nous te demandons l’étonnement, et nous te le demandons vraiment. Il t’a plu non pas d’enseigner ni d’éblouir, mais d’étonner ceux qui ne te connaissaient pas et ceux qui te connaissaient trop. Il t’a plu de parler et d’agir autrement qu’on ne l’aurait attendu de toi. Il t’a plu de vivre enfant à Nazareth et de mourir trop jeune à Jérusalem. Il t’a plu de louer la femme cananéenne et le centenier romain. Il t’a plu de te révéler par étonnement, mais non par évidence ni par énigme.
[…]
Alors, ô Dieu, garde-nous étonnés de toi, des autres et de nous-mêmes, afin que chacun de nos jours soit dépoussiéré par l’énergie de ta grâce et que nous demeurions des enfants, tes enfants, pour l’honneur et le bonheur du monde. Amen.
André Dumas
Extrait de Cent prières possibles, André Dumas, Préface d’Olivier Abel, Éd. Albin Michel